mercredi 27 janvier 2010
Le silence des mouches
D’abord un malaise, un inconfort. Puis une sourde évidence : quelque chose ne va pas. Ou plutôt les choses ne se produisent pas comme elles devraient se produire. Le bon sens voudrait qu’à ce moment précis, dans cette pièce, le corps de Dounia frétille de mouches pondeuses, pourrisse dans un festin de larves, s’évanouisse sous des escouades de diptères agrippés à ses moindres orifices, se décline en cinq services pour une horde de convives nécrophages.
Quatre jours depuis son assassinat.
Et pourtant, le corps inerte de Dounia est là, ferme, imputrescible, ses chairs desséchées lui donnent une texture de papier froissé. Un papier froissé... cette page arrachée du Journal de Jimmy Jones. Entre mes doigts, je lis :
(…) La toile représente une femme (ou un homme?), vu de dos des pieds aux épaules, allongé sur un tapis angora; son corps traverse la toile par la diagonale sud-ouest nord-est, le galbe de ces fesses ne permet pas de déterminer l'âge du modèle.
Ce tableau dont parle Jones, je crois me rappeler… un tableau dans un sale état, le cadre rongé par les rats, un foutu vieux tableau, une lacération sur le galbe des fesses. Putain de mémoire à deux balles, où est-ce que j’ai vu cette connerie de tableau ?
vendredi 22 janvier 2010
Le Baiser
Me laver. Heureusement la douche fonctionne encore et je peux me la faire gicler en plein visage pour tenter d'enligner mes pensées. Il faut penser vite, me décrasser, défaire les noeuds dans ma chevelure-spaghetti de gueuse (allez estime-toi bordel tu n'as rien d'une traînée!), me toucher aussi, on ne me touche plus, c'est lamentable.
Ce qui reste de savon: un truc brunâtre que quelques cafards s'arrachent; je laisse l'eau couler sur mon dos, au creux de mes reins et je laisse les bestioles à leur collation. J'ai en tête l'air hébété de Dounia, cette voix de baryton qui résonne en arrière-pensée (ce rire gras), puis je me rappelle un détail, insignifiant peut-être.
J'arrête la douche et je me précipite, nue, vers Dounia.
Ses viscères s'étalent en périphérie de son ventre, un sang bourgogne, presque noir, s'en déverse, et se répand à vitesse réduite et stable de part et d'autre de la victime gisante. Il lui reste, semble-t-il, un dernier souffle: «... le...».
Je me précipite à ses lèvres que j'embrasse pour leur donner une extension de vie; elle se ravive, ses yeux s'illuminent comme ceux d'un loup s'écarquillent alors qu'un véhicule utilitaire sport s'apprête à le happer.
«... le... jour...»
Ses yeux se figent, ce qui annonce son départ définitif.
Je commence à avoir froid. J'arrive trop tard.
Je détourne les yeux de son visage après avoir fermé ses paupières, mon regard se dirige vers son opulente poitrine qui montre quelques repousses de poils ici et là. Dans le soutien-gorge en dentelle noir de Doumia, quelque chose m'alerte. Un bout de page déchirée.
J'y lis «Journal de Jimmy Jones, jour 2».
Ce qui reste de savon: un truc brunâtre que quelques cafards s'arrachent; je laisse l'eau couler sur mon dos, au creux de mes reins et je laisse les bestioles à leur collation. J'ai en tête l'air hébété de Dounia, cette voix de baryton qui résonne en arrière-pensée (ce rire gras), puis je me rappelle un détail, insignifiant peut-être.
J'arrête la douche et je me précipite, nue, vers Dounia.
Ses viscères s'étalent en périphérie de son ventre, un sang bourgogne, presque noir, s'en déverse, et se répand à vitesse réduite et stable de part et d'autre de la victime gisante. Il lui reste, semble-t-il, un dernier souffle: «... le...».
Je me précipite à ses lèvres que j'embrasse pour leur donner une extension de vie; elle se ravive, ses yeux s'illuminent comme ceux d'un loup s'écarquillent alors qu'un véhicule utilitaire sport s'apprête à le happer.
«... le... jour...»
Ses yeux se figent, ce qui annonce son départ définitif.
Je commence à avoir froid. J'arrive trop tard.
Je détourne les yeux de son visage après avoir fermé ses paupières, mon regard se dirige vers son opulente poitrine qui montre quelques repousses de poils ici et là. Dans le soutien-gorge en dentelle noir de Doumia, quelque chose m'alerte. Un bout de page déchirée.
J'y lis «Journal de Jimmy Jones, jour 2».
Libellés :
Dounia Summers,
Eve Attar,
Jimmy Jones
samedi 16 janvier 2010
Le Nid
Le Nid, c’était la planque de Dounia. Une planque style chambre de bonne dissimulée sous les toits du Moon.
50 mètres carré. On n’y accède que par le monte-charge, que tous croient d’ailleurs condamné depuis l’incident qui laissa, en 1979, Gigi, la fille de l’ancêtre, sans jambes. Fatalité difficile à accepter pour une gamine déjà atteinte de nanisme et d’une forme rare d’excroissance labiale. Elle tiendrait désormais une maison close à N.D Lay, avec son mari, un pied-bot bègue et tyrannique.
Le Nid, une garçonnière fantôme au cœur d’un cinéma anonyme. Un véritable blanc de mémoire architectural. INVENTAIRE : Une table boiteuse, une chaise, un frigo, un lit défait. Des amas de robes insolentes, carnavalesques, léchant des fatras de boas, de sacs en faux croco et de lunettes dépareillées. Sur le sol, des perruques. Partout. Une colonie de méduses blondes, brunes, ambrées et noires avachies aux quatre coins de la pièce.
Punaisé au mur, des dizaines de photos : quelques habitués du Moon, des chats errants, des nus sous-exposés, des autoportraits flous et… une masse informe, une sorte de lapin squelettique avec, à ses pieds, une gamine. Sous tous les angles ces deux-là. Les photos semblent avoir été prises de l’unique fenêtre du Nid, dans la salle de bain. La salle de bain… me laver, trouver un truc à porter dans ce foutoir et après, m’occuper du paquet.
50 mètres carré. On n’y accède que par le monte-charge, que tous croient d’ailleurs condamné depuis l’incident qui laissa, en 1979, Gigi, la fille de l’ancêtre, sans jambes. Fatalité difficile à accepter pour une gamine déjà atteinte de nanisme et d’une forme rare d’excroissance labiale. Elle tiendrait désormais une maison close à N.D Lay, avec son mari, un pied-bot bègue et tyrannique.
Le Nid, une garçonnière fantôme au cœur d’un cinéma anonyme. Un véritable blanc de mémoire architectural. INVENTAIRE : Une table boiteuse, une chaise, un frigo, un lit défait. Des amas de robes insolentes, carnavalesques, léchant des fatras de boas, de sacs en faux croco et de lunettes dépareillées. Sur le sol, des perruques. Partout. Une colonie de méduses blondes, brunes, ambrées et noires avachies aux quatre coins de la pièce.
Punaisé au mur, des dizaines de photos : quelques habitués du Moon, des chats errants, des nus sous-exposés, des autoportraits flous et… une masse informe, une sorte de lapin squelettique avec, à ses pieds, une gamine. Sous tous les angles ces deux-là. Les photos semblent avoir été prises de l’unique fenêtre du Nid, dans la salle de bain. La salle de bain… me laver, trouver un truc à porter dans ce foutoir et après, m’occuper du paquet.
vendredi 15 janvier 2010
Le ventre
Dans le ventre de Dounia, des billes de styromousse, des boules de papier journal puis un paquet ficelé dans des sacs plastique. Ils en ont fait un colis humain, un cadavre postal. Dounia s'enflamme doucement. Au Moon Palace, les combustions spontanées n'étonnent plus personne.
Derrière, un rire grave puis, rien.
Derrière, un rire grave puis, rien.
jeudi 14 janvier 2010
5h15, W.C. des dames
Dounia Summers c’est le marabout de la bande. On dit d’elle qu’elle lit l’avenir dans les draps souillés de ses amants. Quinquagénaire suave et démesurée, seule sa pomme d’Adam trahi sa façade laquée d’hystérique platine. Dounia Summers. C’est elle qui m’a ramassée la première fois, nue et hagarde dans une benne à ordures derrière le Moon. Dounia et ses potions infectes, et ses gris-gris improbables. Dounia. Une des rares personnes dont je me souvienne et qui résiste à l’effacement sporadique de ma mémoire.
5h15. W.C. des dames. Dans l’embrasure de la porte, elle tient son ventre. Un sang lourd et poisseux danse sur sa robe à paillettes. Elle ne s’est pas rasée depuis des jours, des poils drus encadrent cà et là sa bouche trop rouge, hérissent ses joues creuses. « Ils m’ont ouvert, les salauds ils m’ont ouvert ». Elle s’affale sur la moquette, mon lit depuis maintenant trois jours. « Ne dors plus iccc…ici… trop danger… Le Nid…. prends mon… installe-toi au Nid….Attends,attttends ceux du terrier, ils sauront quoi… Le feu, c’est toi, c’est TOI qui… le terrier, le feu, le feeu le ffff… »
Une voix derrière moi : «Ta main, dans son ventre, cherche dans le ventre de l'homme-femelle,VITE ! »
5h15. W.C. des dames. Dans l’embrasure de la porte, elle tient son ventre. Un sang lourd et poisseux danse sur sa robe à paillettes. Elle ne s’est pas rasée depuis des jours, des poils drus encadrent cà et là sa bouche trop rouge, hérissent ses joues creuses. « Ils m’ont ouvert, les salauds ils m’ont ouvert ». Elle s’affale sur la moquette, mon lit depuis maintenant trois jours. « Ne dors plus iccc…ici… trop danger… Le Nid…. prends mon… installe-toi au Nid….Attends,attttends ceux du terrier, ils sauront quoi… Le feu, c’est toi, c’est TOI qui… le terrier, le feu, le feeu le ffff… »
Une voix derrière moi : «Ta main, dans son ventre, cherche dans le ventre de l'homme-femelle,VITE ! »
mercredi 13 janvier 2010
Salle 2.
-What in heaven's name brought you to Casablanca?
-My health. I came to Casablanca for the waters. Captain
-The waters? What waters? We're in the desert.
-I was misinformed.
Rien. Tout juste un kilo de cendres sur le tabouret du projectionniste. Sans doute une combustion spontanée ou une merde dans le genre. Il me reste vingt minutes pour nettoyer ce bazar.Dans la corbeille, le polyester léopard crépite avec les derniers mètres de pellicule de Casablanca. Le triacétate brûle mal. J'ai enfilé la chemise trop grande qui gisait là. La lampe Xénon 900 w ronronne. Trois mètres plus bas, les folles s'agitent, gloussent. 18h15, l'heure des travelos. Pas de Bogart ce soir. Machinale, je tire une bobine, je connais les gestes. Ils appartiennent à un passé flou.
Plus bas,une tribu de drags s'émeuvent devant la finesse bollywoodienne de Mother India
-My health. I came to Casablanca for the waters. Captain
-The waters? What waters? We're in the desert.
-I was misinformed.
Rien. Tout juste un kilo de cendres sur le tabouret du projectionniste. Sans doute une combustion spontanée ou une merde dans le genre. Il me reste vingt minutes pour nettoyer ce bazar.Dans la corbeille, le polyester léopard crépite avec les derniers mètres de pellicule de Casablanca. Le triacétate brûle mal. J'ai enfilé la chemise trop grande qui gisait là. La lampe Xénon 900 w ronronne. Trois mètres plus bas, les folles s'agitent, gloussent. 18h15, l'heure des travelos. Pas de Bogart ce soir. Machinale, je tire une bobine, je connais les gestes. Ils appartiennent à un passé flou.
Plus bas,une tribu de drags s'émeuvent devant la finesse bollywoodienne de Mother India
Libellés :
Chambre des projecteurs,
Eve Attar,
Salle 2
mardi 12 janvier 2010
«Vous avez un nouveau message»
«Le cinéma moon: gare au type portant une fausse paire de lunettes armani. ferme ton portable & pointe-toi ici » C’est le dernier message que j’ai reçu avant que mon portable ne rende l’âme. Plus de batterie. Au coin de la rue, un mec louche vend des fausses lunettes Armani. Voilà plus d’une heure que j’attends, adossée au Cinéma Moon Palace. Je détaille une vieille affiche. Knock at Any Door. Un film de Bogart. Armani boy siffle, rigole seul. Il est défoncé. Déjà six passants ont acheté sa camelote made in Bangladesh. « Gare au type portant une fausse paire de lunettes Armani ». Tsss ! Putain d’informateur, j’aurais pu crever mille fois. En face, une fille paumée me regarde, les cheveux sales ramassés en chignon improbable, un imper gris, crasseux qui couvre à peine une robe vulgaire à imprimé léopard, des stiletto rouges, risibles. Probablement une traînée qui attends son proxénète. Sale nuit. Je cherche dans mon imper, sors une clope, regarde autour de moi, m’impatiente. En face, la traînée pose les mêmes gestes. Une vitrine... MON reflet dans une vitrine. Je porte une robe léopard. Merde.
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